« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs »

 

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » – (Jacques CHIRAC, 2002)

 

 

Le mouvement des gilets jaunes est né en réponse à la hausse des carburants à l’automne 2018. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, l’étincelle qui a mis le feu aux poudres et fait voir rouge à bon nombre de nos concitoyens.

 

 

Depuis l’embrasement de cet automne 2018, on a un peu donné d’un côté, un peu repris de l’autre et surtout beaucoup promis.

 

Sur le fond rien n’a été réglé, le feu couve toujours sous la cendre. On a surfé sur le pourrissement de la situation, misé sur l’usure, la fatigue, organisé le rejet du mouvement en focalisant sur ses débordements, condamnables bien qu’incomparables à ceux de 1968.

 

Mai 68, parlons en justement. Il s’agit à ce jour du plus important mouvement social de l’histoire de  la France du XXème siècle, vaste révolte spontanée anti-autoritaire, de nature à la fois sociale, politique et culturelle, dirigée contre le capitalisme, le consumérisme, l’impérialisme américain et, plus immédiatement, contre le pouvoir gaulliste en place depuis 10 ans.

Pendant plusieurs jours plus de 10 millions de personnes ont manifesté dans la rue ou cessé le travail, les affrontements ont provoqué la mort d’au moins 7 personnes et des centaines de blessés graves tant parmi les manifestants que chez les forces de l’ordre.

 

 

Le paradoxe était que la crise de 1968 survenait au terme d’une décennie de prospérité inégalée, apogée de la période dite des « 30 Glorieuses » avec un taux de croissance autour de 5% par an.

 

 

 

Mais aussi apparition insidieuse de la pression sociale et salariale liée à la concurrence accrue du fait de la levée des barrières douanières dans le marché commun naissant, nombreuses fermetures d’usines liées aux mutations technologiques, apparition du chômage de masse, des travailleurs pauvres et d’une partie de plus en plus importante de la population en dessous du seuil de pauvreté.

 

Mai 68 ne se comprend que dans un monde en rapide mutation, source de déséquilibres majeurs auxquels les élites en place, politiques ou économiques, n’ont pas su répondre avant l’embrasement général.

La France s’ennuyait pouvait-on lire dans un éditorial du « Monde » de mars 68 : vaste aveuglement des élites auto proclamées, déni des réalités du terrain, sommets de suffisance.

 

A l’issue de cette « chienlit » pour reprendre l’expression surannée du Général de Gaulle, le gouvernement Pompidou, les représentants des syndicats salariés et patronaux se sont réunis autour d’une table pour négocier les fameux accords de Grenelle qui ont vu, entre autres, le SMIG augmenter de 35% et tous les salaires de 10% !

 

Depuis, ce qui a été donné a été promptement repris par tous les acteurs décideurs publics et privés.

 

Nous avons retrouvé une étude du CERC (Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale remplacé en 2013 par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective) dont nous reproduisons ici une partie des conclusions parues dans les médias de l’époque.

 

Salariés, effondrement du niveau de vie.

 

 

Le niveau des ménages qui ont leur salaire pour seul revenu, s’est effondré depuis 20 ans, affirme une étude du CERC selon lequel la « condition salariale » est aujourd’hui comparable à ce qu’elle était il y a un demi-siècle ».

 

 

 

« Les récentes revendications salariales ne sont pas le fruit d’une illusion d’optique liée à l’annonce de profits boursiers records. Le salaire net «moyen n’a guère connu de progression » du pouvoir d’achat depuis la fin des années 1970.

 

Au total sur les 25 dernières années, les gains du pouvoir d’achat sont restés minimes, de l’ordre de 0,2 à 0,3% par an, « largement inférieures à l ‘évolution du niveau de vie moyen en France ».

Cette quasi stagnation du pouvoir d’achat du salaire moyen net est d’autant plus remarquable que le niveau moyen de qualification de la main-d’œuvre salariée n’a cessé d’augmenter tout au long de la période.

A structure de qualification constante, le salaire net moyen a donc connu une perte de pouvoir d’achat comprise entre 4 et 8% depuis 1978. Cette détérioration a touché tous les salariés qu’ils travaillent dans le secteur privé ou dans la fonction publique.

 

Au total le niveau de vie des ménages n’ayant que leur salaire comme revenu a fortement chuté depuis 1982. Très rapide dans la première moitié des années 1990, elle a marqué une pause à partir de 1997, avant de reprendre en 2002 et 2003.

Aujourd’hui, la place des ménages de salariés ou de chômeur dans l’échelle des niveaux de vie est comparable à celle qui prévalait au milieu des années 1950 ».

 

Cette étude n’a pas été faite ni publiée en 2019, elle est parue dans les médias le 29 avril 2005 !

 

 

Depuis se sont ajoutés les effets de l’euro sur la hausse des prix, les contraintes financières liées à l’éloignement du travail par rapport au domicile, contraintes bien réelles et de plus en plus insupportables en milieu rural.

 

 

Et il faut maintenant ajouter au malaise des salariés celui des retraités et futurs retraités confrontés au spectre de la réforme et de l’allongement de la durée de cotisations.

 

Depuis 2005 s’il y a eu vaguement et très épisodiquement impression que le pouvoir d’achat augmentait, c’est surtout grâce aux mesures d’accompagnement social, au recours massif à l’emprunt…et au matraquage médiatique…

 

Imputer le mouvement des gilets jaunes uniquement à la politique du gouvernement en place serait réducteur.

Tous responsables, en fait depuis 3- 4 décennies, soit par aveuglement, soit par acceptation d’un dumping social dévastateur !

 

 

 

Le mouvement des gilets jaunes n’est en fait que la partie émergée de l’iceberg du malaise social grandissant.

 

 

 

Il ne peut pas en aller autrement si la Politique s’efface au profit du libéralisme économique sauvage dont l’expérience prouve qu’il va pourtant systématiquement de crise en crise.

 

Les petits trinqueront toujours. Gageons que d’éminents spécialistes expliqueront qu’il doit en aller ainsi pour l’intérêt commun au même titre que la pluie tombant sur le toit finit par arriver au sol.

 

There is no alternative » (« TINA », « il n’y a pas d’autre choix »), comme disait Margaret THATCHER, bien connue des Britanniques pour son sens de la diplomatie… dans le règlement du conflit des mineurs.

Slogan fort utilisé par les multinationales et décrit par le sociologue Jean Ziegler (homme politique, altermondialiste, vice président du comité consultatif du conseil des droits de l’homme des Nations Unies) dans son livre « Les nouveaux maîtres du monde » (2002) comme celui du troisième pouvoir après le bolchevisme et le nazisme.

 

RAD

 

6 commentaires sur « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs »

  1. Ouais,c’est un survol d’une partie du siècle dernier assez superficiel… Tout d’abord dire que 68 est le plus grand mouvement social du siècle c’est oublier le front populaire, la révolution des soviets en Russie, toutes les luttes anticoloniales, la révolution chinoise etc…etc. Les étudiants et étudiantes de Paris ont été inspirés par les actions de leurs collègues à Berlin en 67 (mort de Rudy Duchke) et aussi par les grèves des étudiants dans toute l’Algérie avec la mort d’un étudiant des Beaux Arts à Alger (aussi en 67).
    Quelque soit l’origine de l’étincelle c’est la composition du contenu de la poudre et de la quantité de poudre qui fait l’importance de l’explosion !
    Faisant partie de cette génération née sur le charnier de 39-45 ; toute notre enfance et notre adolescence ont nous a pris la tète comme quoi nous avions de la chance de ne pas avoir connu la guerre! Tout çà pour que l’on ne remette pas en question la chape de plomb protégeant la société que l’on nous imposait. A Nanterre en mars 68 ce qui a mis le feu aux poudres c’est une histoire de mecs et de nanas qui ont décidé de forniquer dans la chambre de l’une ou de l’autre plutôt que planqué derrière un bosquet ou dans un sordide chiotte public.Celà provoqua la fermeture de la fac et 4 jours plus tard la naissance du mouvement du 22 mars qui demanda asile à la Sorbonne,etc… Ce qui caractérise mai 68 c’est que ce mouvement a été pris par toute la jeunesse au delà des ghettos universitaires.
    La similitude avec les gilets jaunes elle se trouve aussi sous une chape ou la plupart des aspirations à vivre autre chose sont écrasées par boulot-chomdu-ta gueule.
    Effectivement l’augmentation du carburant est l’étincelle qui a mis le feu aux poudres ! Ce qui me parait important c’est de savoir que contiennent toutes ces poudres? Exactement comme à Rouen par exemple ou les pompiers et les policiers n’ont pas le droit de connaitre les résultats d’analyses de leur sang !!!! Bhopal en Inde c’était il y a 35 ans en 1984 et aujourd’hui il y a encore des personnes qui meurent des suites de l’incendie de cette usine chimique. A Rouen comme à Bhopal c’est l’omerta, le règne du silence de la mafia du capital fric made in U.S.A et de leurs anges gardien:nos gouvernements.
    L’événement de Rouen sera t’il aussi une étincelle de plus dans la poudrière des problèmes de l’environnement c’est probable, car étant donné la forte mobilisation de la jeunesse à ce sujet et la probable mise en cause des trust agrochimique dans toute ces ambrouilles, il y a fort à parier que les temps à venir vont être très agités.

    • Bonjour Jean Claude,

      Merci pour votre commentaire.

      Notre propos n’était pas de faire une étude exhaustive des tenants et aboutissants de mai 68, car 20 pages n’y auraient pas suffit. D’où un « survol » de l’évènement.Peut être le ferons nous un jour. De plus, nous nous sommes cantonnés à l’histoire en France où Mai 68 est bien un évènement majeur.

      Simplement, il s’agissait de faire remarquer que les conditions sociales, politiques et surtout économiques pour l’apparition d’une autre explosion sociale nous semblent aujourd’hui bien plus réunies qu’en 68 puisqu’à cette époque on sortait de la période des « 30 glorieuses ».

      Enfin, réduire le départ de mai 68 à une affaire de c… nous semble un peu réducteur, non ?

      RAD

  2. Bonjour,c’est réconfortant de voir que chacun apporte sa contribution et ses témoignages a notre situation dramatique sans pour autant trouver une ou des solutions permettant de modifier ou d’influer des décisions plus conformes au bien-être de tous. Et cela dans tous les domaines : économiques,éducatifs, sociaux,environnementaux ,au moment ou un étau se referme lentement autour de notre planète et de ses habitants. Il est clair aussi que les capitalistes ne bougerons pas un cil de leur plein grès dans la résolution de tous ces problèmes.
    Les dividendes versées aux actionnaires augmentent fortement et régulièrement , a-t-on une seule fois parlé de les solliciter ?,c’est tabou et dogmatique ! L’accroissement des inégalités dans tous les domaines a basculé brutalement à l’excès dans de nombreux pays vers les années 80/90. Nous sentons bien que les choix politiques de ce gouvernement restent dans des schémas classiques du droit de propriété et de gouvernance des entreprises maintenant de fortes inégalités à l’origine de toutes ses manifestations dans pratiquement tous les pays. Dans une recherche de plus grande égalité , la représentativité forte des salariés dans l’entreprise commence à apparaitre dans certains pays : Suède, Norvège, Allemagne …..accompagnée par un prélèvement fiscal progressif plus sévère et plus transparent, portant sur la totalité des revenus , propriétés, capital, héritages…. Malheureusement en France les partis et les syndicats se sont auto détruits laissant à notre président, couteau suisse du capitalisme ,la possibilité de bloquer toutes ces perspectives. Une cogestion mettant les actionnaires et salariés au même niveau décisionnaire voire progressivement financier ouvrirait des pistes nouvelles. Cela existe ailleurs, actionnaires et entreprises n’en soufrent pas pour autant. Quel homme politique en France, osera mettre cela dans son programme ? Cette démarche demanderait l’engagement de l’état pour sa mise en place et son contrôle. La non plus nos politiques ne sont pas prêts à assumer ce rôle. Ils évoquent alors à tord,une réglementation obligeant à une uniformisation des systèmes européens , évitant ainsi d’en changer. Les solutions testées viendront d’ailleurs, de pays plus engagés que nous, rendant malheureusement vrai le jugement critique du Général de Gaule sur les Français et leur élus.

  3. C’est avec plaisir que je lis vos commentaires et j’aimerais bien vous rencontrer; moi je suis à Nozières et c’est pas compliquer pour me trouver au village…

  4. petit mot pour le collectif : Il y a des quantités de bouquins et des kilomètres de pellicules concernant 68, ma manière de rentrer dans mon propos était une forme de clin d’œil à votre travail.
    Par contre là ou vous faites une erreur c’est de croire que mai 68 est une exclusivité française. J’ai eut la chance d’avoir 20 ans dans les années 6O me retrouver sur les routes de l’exile pour cause de désobéissance à l’obligation militaire; celà m’a permis de passer mon temps sur les routes et d’aller là ou il se passait quelque chose
    et se qui c’est passé à Paris faisait partie d’un mouvement de fond de la jeunesse dans tout le monde occidental. La jeunesse écoutait les mêmes musiques,lisait les mêmes bouquins et courait derrière les mêmes utopies; ce déplacer était facile et les idées avec, d’Europe au moyen orient jusqu’en Californie en passant par l’Afrique du nord,etc,etc…Celà aussi est relaté dans plein de bouquins et de films.
    J’ai lu l’histoire des mecs et des nanas de Nanterre dans France soir en prenant mon petit dej sur la terrasse du café de France à Essaouira au Maroc,celà à fait tilt dans ma tète,il se passe quelque chose à Paris ; 1O jours plus tard j’étais dans le quartier latin et j’assistait au début du mouvement. Lorsqu’une armoire est pleine à craquer il suffit d’aller prendre une paire de chaussettes pour que le contenu s’en trouve déstabiliser et atterrisse sur le sol!
    C’est ce qui c’est passé avec l’histoire des amoureuses et des amoureux de Nanterre, le recteur et le ministre ont péter les plombs et fermé la fac! C’est l’étincelle,
    l’élément déclencheur qui à déstabiliser le trop plein de la république. Ce n’est pas une histoire de cul,c’est deux vieux cons qui n’ont pas compris l’évolution de la société.
    Amicalement à vous

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